Pour une histoire du féminisme français (années 60-70)

jeudi 8 octobre 2009

L’histoire, c’est ce que produisent les historiens.

Ils se sont d’abord intéressés aux guerres, aux affaires politiques et religieuses, aux grands hommes, aux héros et aux nations. Aux dates, surtout puisqu’il s’agissait de retenir le temps. Pour aller vite, c’était une histoire d’hommes faite par les hommes.

Et puis est advenu le 20e siècle, et, entre les deux guerres mondiales, une vraie grande crise, pas seulement économique, mais aussi morale et philosophique. Les historiens se sont avisés que "rien de ce qui était humain ne devait leur être étranger". Deux hommes, Lucien Febvre et Marc Bloch, ont fondé une revue : les "Annales d’histoire économique et sociale", qui fit école.

Les femmes, elles, n’avaient pas d’histoire puisqu’elle ne faisaient pas la guerre, n’avaient pas de nation, et pas de vraies héroïnes. Mais, au 19e siècle, on leur a permis de lire des livres. Fatale erreur ! Depuis, elles n’ont plus cessé de lire, et par exemple les livres de l’Ecole des Annales. Elles se sont mises à écrire et à penser, de plus en plus nombreuses. Elles appartiennent désormais à l’espèce humaine, elles sont la moitié du ciel.

C’est dans les années 60 qu’elles ont commencé à se lever, et à se fabriquer cette histoire dont elles manquaient, ces racines nécessaires pour aller de l’avant.

Ce texte a été présenté lors de la réunion du comité NPAParis14, le 8 octobre 2009

LE FÉMINISME FRANÇAIS MODERNE - ANNÉES 60 ET 70

On ne va pas remonter aux origines du patriarcat, et au combat confus entre mâles et femelles depuis la nuit des temps. Ni même à notre icône préférée, Olympe de Gouges, auteur de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, qui proclamait, en 1791, que si une femme pouvait monter à l’échafaud, elle devait aussi pouvoir avoir des droits civiques. Elle-même est montée à l’échafaud, et elle n’a pas eu de droits civiques.

Les grandes figures de l’histoire du féminisme international ont rarement gagné autre chose et plus qu’une petite notoriété éphémère, et n’ont pratiquement jamais vu, de leur vivant, le résultat de leurs efforts. En tout cas, jusqu’à nos jours.

Mais il semblerait que le féminisme moderne occidental, lui, a commencé son "accumulation primitive du capital". Du moins, il nous est doux de le croire.

La France spécialement misogyne

Au départ, il n’est pas inutile de rappeler que la France, pays des droits de l’homme, devenus "droits humains", est un des pays les plus retardataires au monde sur les droits des femmes.

Pour le droit de vote, après de nombreuse péripéties, en France, il n’est acquis à toutes sans condition d’âge ou de fortune, que le 21 avril 1944 (mais n’est utilisé que le 29 avril 1945, pour les municipales). Alors que la Nouvelle-Zélande et certains Etats américains l’ont obtenu en 1893, l’Australie en 1902, la Finlande en 1906, la Norvège en 1913, le Danemark en 1915, la Russie soviétique en 1918, la Suède en 1919, les Etats-Unis en 1920, l’Irlande libre en 1922, la Grande-Bretagne en 1928. Même l’Espagne, catholique et macho, en 1931. http://fr.wikipedia.org/wiki/Droit_de_vote_des_femm

Pour le contrôle des naissances, c’est du même acabit. En 1919, on découvre les techniques de l’inhibition de l’ovulation, et Margaret Sanger, immédiatement entame un campagne aux Etats-Unis pour permettre aux femmes d’avoir accès à l’information. En France, politique nataliste d’après guerre : pour repeupler le pays, on promulgue la fameuse loi de 1920, qui non seulement interdit et punit très sévèrement la contraception et l’avortement, mais également toute transmission d’information sur le sujet.

Idem pour le droit du travail. Le principe d’égalité des droits est inscrit dans la Charte des Nations Unies en 1945. Mais, en France, c’est en 1965 seulement que la réforme du régime matrimonial de 1804 permet aux femmes (mariées et bourgeoises) de gérer leurs biens, d’ouvrir un compte bancaire, d’exercer une profession sans l’autorisation de leur mari, que l’enseignement technique est ouvert aux filles.

On peut faire le même constat, ou à peu près, sur le divorce, l’instruction des filles, la protection sociale et la question des enfants, etc., etc.

Le Code civil de 1804, dit Code Napoléon, avait fait d’une femme : "un être de second rang si elle n’est pas mariée, un être mineur et incapable si elle est mariée". Elle n’avait aucun droit politique ou civil. Par contre, elle était parfaitement égale à un homme face à l’impôt et à la prison. Ce code civil si résistant, spécifique à l’histoire de France, est sans doute l’un des agents les plus actifs des hiérarchies sociales françaises, et de la misogynie des esprits (y compris des femmes elles-mêmes contre elles-mêmes).

C’est pour ça qu’au delà de l’histoire générale des femmes, c’est pas mal que nous ayons tous, présent à l’esprit, le statut singulier des luttes féministes françaises des années 1960-1970, et de leurs conquêtes qu’il faut défendre et prolonger.

Le MLF

Le Mouvement de libération des femmes, le MLF, n’est pas né de "Mai 68", ce qui est un peu court comme explication.

C’est vrai que l’acmé des sixties, c’est plus ou moins 1968, et en France, c’est en mai.

Mais en Allemagne, c’est en juin 1967 (assassinat de Benno Ohnesorg au cours d’une manif contre le Shah d’Iran), et c’est en avril 1968 (attentat contre Rudi Dustchke).

Aux États-Unis, c’est en avril 1968 (assassinat de Martin Luther King et émeutes de Washington), et en août (émeutes de Chicago). En Tchécoslovaquie, c’est en août (invasion soviétique), et en janvier 1969 (immolation de Jan Palach).

Au Mexique, c’est en octobre 1968 (le massacre de la places des trois Cultures). Etc.

Même s’il a surgi, tout casqué, de l’effervescence des années 60 partout dans le monde, les mouvements de libération des femmes sont issus de siècles de luttes, celles des "vieilles taupes".

À cet égard, nous ne saurions trop recommander L’Histoire des femmes, sous la direction de Michelle Perrot et Georges Duby. C’est en 5 tomes, mais on trouve les tomes séparés, et souvent d’occasion.

http://id.erudit.org/iderudit/057734ar

Si le MLF français a ses particularismes, il est inspiré par le Women’s Lib (né en 1967), et il est surtout le fruit d’années de luttes diverses, anti-capitalistes et anti-impérialistes, profondément ancré dans son temps. Il se veut internationaliste, par définition.

Il est aussi, de toute évidence, lié à une rupture entre les générations, qui a fermenté entre les deux guerres (autour du Front populaire), et surgi après la Seconde Guerre mondiale.

Comme les autres mouvements féministes occidentaux, le Mouvement de libération des femmes en France est surtout remarquable en ceci que ses avancées semblent pouvoir perdurer, pour la 1ère fois dans l’histoire des femmes, puisqu’il va fêter son 40e anniversaire en 2010.

Pour préparer nos luttes à venir, ici et maintenant, il n’est pas inutile de rappeler sa petite histoire singulière.

***

Donc voici un rappel des dates clés du MLF français, préhistoire, années de triomphe et déclin.

- 1949 : Parution de la bible du féminisme : Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir, 2 tomes de la collection blanche chez Gallimard.

La thèse, c’est : "On ne naît pas femme, on le devient", c’est-à-dire : une femme, ça se fabrique.

Ce qui s’inscrit donc en faux contre le vieil adage : Tota mulier in utero, qui définit les femmes par leur physiologie.

Avec ce livre, dans l’histoire des idées, la culture vient contrarier l’omni-puissance de la nature. Aujourd’hui, on distingue les "sexes" et les "genres". Le sexe est physiologique (femelle, mâle), et le genre est social (femme, homme).

http://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Deuxième_Sexe

- 1956 : création du Planning familial par Évelyne Sullerot, et Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé sur le modèle des Birth Centers américains.

Les centres s’appellent d’abord la "Maternité heureuse". En 1960, ils deviennent mixtes, et prennent le nom de "Mouvement Français pour le Planning Familial" (MFPF). Le mouvement est né dans le cadre de l’Académie des sciences morales et politiques, avec un carnet d’adresse d’enfer.

La revendication est claire : les femmes doivent obtenir le droit de choisir d’avoir ou non des enfants. Si le Planning s’apparente à un mouvement d’éducation populaire, et ressemble à un lieu de parole bien-pensant, il fournit aussi des informations sur la contraception et l’avortement, ce qui est illégal. Sullerot et Weill-Hallé démissionneront quand les gauchistes s’infiltreront.

http://www.planning-familial.org/

- 28 décembre 1967 : Vote de la Loi Neuwirth sur la contraception qui abroge la loi de 1920.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_Neuwirth

Des petits groupes de femmes, informels, non-mixtes, commencent à se constituer à Paris, autour notamment de Monique Wittig et Antoinette Fouque, avec Sylvina Boissonnas comme mécène.

En mai 1968, il ne se passe pas grand chose de spécial pour les femmes, les pavés sont un peu lourds pour elles, et dans les amphis ou dans les cours d’usines, les ténors, ce sont les hommes.

Mais c’est une excellente école de form. : elles apprennent sur le tas et estiment mieux le rapport de forces.

- Printemps 70 : Meeting public à l’université de Vincennes (créée le 1er janvier 1969), d’où sort numéro spécial de l’Idiot international (journal pamphlétaire fondé, en 1969, mort en 1994, dont la directrice de publication est Simone de Beauvoir) : "Combat pour la libération des femmes".

Le MLF va s’épanouir dans les années 70. Mais sa naissance a vraiment lieu le :

- 26 août 1970 : Pour fêter les 50 ans de l’obtention du droit des vote des femmes américaines, des femmes françaises déposent une gerbe sur la tombe du soldat inconnu, sous l’Arc-de-Triomphe, destinée à la femme inconnue.

Une banderole dit : "Un homme sur deux est une femme".

Elles sont arrêtées par la police, mais c’est l’acte de naissance du MLF.

- Automne 70 : sortie d’un n° spécial de la revue Partisans, chez François Maspero, "Libération des femmes année zéro", n°54-55, juillet-octobre 1970.

- Févier 1971 : Création du FHAR (Front homosexuel d’action révolutionnaire). Il rassemble des féministes du MLF, ainsi que des lesbiennes et des homos dissidents d’Arcadie (groupe d’homos convenables fondé en 1954).

Têtes d’affiches : Guy Hocquenghem, Daniel Guérin, Françoise d’Eaubonne.

Le FHAR revendique la liberté sexuelle, s’active, se montre, et participe au journal Tout !, organe du groupe "Vive la révolution !", dont le directeur de publication est Jean-Paul Sartre.

- 5 avril 1971 : Publication du "Manifeste des 343", connu sous le nom de "Manifeste des 343 salopes".

Sous l’impulsion du MLF, le Nouvel Observateur publie une pétition portant 343 signatures de femmes, qui déclarent avoir recouru à l’avortement. Parmi ces signatures figurent celles de personnalités très en vogue, telles que Simone de Beauvoir, Catherine Deneuve, Jeanne Moreau, Françoise Sagan, Delphine Seyrig…

Le scandale est retentissant.

- Juillet 1971 : Là-dessus s’ajoute les déclarations du FHAR, dans un n° de Tout !. "Nous sommes plus de 343 salopes. Nous nous sommes faits enculer par des Arabes. Nous en sommes fiers et nous recommencerons".

Le journal est saisi par la police et Sartre est poursuivi en justice.

Atteinte à la liberté d’expression décide le Conseil Constitutionnel : en juillet 71, les poursuites cessent.

Le FHAR finit par se scinder entre femmes et hommes, les femmes étant obligées de lutter en interne contre la phallocratie triomphante.

Le FHAR aura engendré les GLH (groupes de libération homosexuelle) en province (ce qui a été très utile pour les homos très isolés), la revue Le Gai Pied. Il est surtout à l’origine des mouvements LGBT des années 90.

- Avril 1973 : Création du MLAC (Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception). Il pratique la mixité, et les discours féministes et autogestionnaires y cohabitent. Il organise des voyages en Angleterre et en Hollande pour avortements, et promeut la méthode Karman chez les médecins.

Son "illégalisme de masse", revendiqué et spectaculaire a fortement contribué à la loi Veil. Le MLAC se dissout quand la loi est votée.

- 17 janvier 1975 : Vote de la Loi Veil, qui autorise l’avortement en France. L’avortement devient l’IVG (interruption volontaire de grossesse), mot plus convenable. La loi, votée pour 5 ans, est reconduite en 1979.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_Veil

Pendant ces années 70, le MLF se développe surtout à Paris, avec des manifestations régulières, et un travail théorique sur la condition féminine. Dans les provinces, des groupes se forment aussi.

Les groupes-femmes ressemblent beaucoup à des groupes de conscience, avec un côté intime et privé, et pas du tout aux groupuscules politiques.

Le MLF est un "mouvement", non homogène, comme on dit mouvement ouvrier, mouvement des sans-papiers, mouvement lycéen. C’est une sorte de fédération informelle, non-mixte, sans équipe dirigeante, de différentes tendances politiques, philosophiques ou sociologiques.

En gros, on peut les distinguer selon leur "ennemi principal" :

- Les réformistes, héritières de la Révolution française. Elles croient la République perfectible par des ajustements légaux (toutes les précurseures, mais aussi Elisabeth Badinter).

- Les marxistes-léninistes orthodoxes. L’oppression des femmes est née avec l’apparition de la propriété privée. Engels : "la grande défaite historique du sexe féminin", coïncide avec l’arrivée de la société divisée en classes et l’avènement du capitalisme (Clara Zetkin et Alexandra Kollontaï).

- Les radicales. Elles pensent le "patriarcat", et le situent en amont du capitalisme. Ce courant, très hétérogène, considère que l’oppression et l’exploitation des femmes sont irréductibles aux autres oppressions et exploitations, et qu’elles traversent toutes les sociétés, les "races" et les classes (Simone de Beauvoir et sa descendance).

Toutes les tendances se retrouvent dans les grandes manifs, auxquelles participent, de toutes façons, beaucoup d’individuelles, avec leur pensée empirique personnelle née de leur vécu.

Il y a celles qui veulent accéder à l’espace public, et qui, pour cela, sont obligées de se conformer aux codes masculins dominants (look, compétition, évacuation des sous-sols de la vie quotidienne).

Il y a celles qui apprécient leur condition féminine et, jouant sur les deux tableaux, préfèrent l’espace privé (avantages et inconvénients, physiques et sociaux).

Mais toutes commencent à cesser de rêver au prince charmant et au "Grand Amour" avec majuscules.

Toutes commencent à entrevoir que leur légendaire masochisme est dû à l’idéologie dominante qu’elles ont intégrée.

Toutes réfléchissent à la contradiction de cette "collaboration" effective à leur servitude, dès lors qu’elles aiment leurs "tyrans".

Seules les lesbiennes radicales échappent à cette contradiction intérieure.

Mais dans ces années-là, elle ne sont pas aussi "fières" qu’aujourd’hui, et préfèrent souvent la discrétion aux exhibitions des gays mâles.

Ce qui leur est aisé, puisque, depuis la nuit des temps, les femmes sont considérées comme n’ayant pas de sexualité. En témoigne le fait que seule l’homosexualité des hommes est punie par la loi, et pas celle des femmes.

Surtout les femmes, toutes tendances confondues, se tapent, plus ou moins, la double journée de travail, dès qu’elles ont des enfants, même dans les classes dominantes, et des positions objectivement subalternes, dans les espaces publics comme dans les espaces privés.

En fait, à partir des années 70, les femmes combattantes sont plus ou moins toutes liées par deux principes de base :

- Elles affirment que l’espace de la "reproduction" (de l’espèce, de la force de travail, de la société) est un espace spécifique de leur exploitation (maternité, corps, famille, travail domestique).

- Instruites par l’expérience historique, elles refusent de subordonner leur combat contre le patriarcat à la lutte des classes pour les gauchistes, à la lutte politique légaliste pour les réformistes.

Le marché est porteur.

Une intense activité éditoriale se développe, qui promeut les ouvrages théoriques des intellectuelles, comme les débats et polémiques des diverses tendances.

Dans les revues, il y a de nombreux textes d’anonymes, souvent signés d’un seul prénom (et pas du nom du père).

Le 1er numéro du Torchon brûle (1971-1973) sera peut-être la seule revue "œcuménique" du mouvement.

Deux maisons d’édition vont dominer la période, qui, ayant dépassé le réformisme initial, se déclarent révolutionnaires :

- Les Éditions Des Femmes, créées en 1973 par Antoinette Fouque.

C’est la tendance Psychanalyse et politique ("Psych & Po"), qui promeut les écritures féminines. Elles ont une librairie rue des Saint-Pères. Revues : Le Quotidien des femmes (1974-1976), et Des Femmes en mouvements (2 séries entre 1977 et 1982).

Un aspect sectaire avec la gourou Fouque, une tendance hyper-narcissique, mais un indéniable succès, grâce au soutien financier de Sylvina Boissonnas. On peut citer tous les noms de leur riche catalogue. On sait aussi les innombrables ruptures internes, et les grandes douleurs de celles qui furent dédaignées par la gourou.

- Les Éditions Tierce (les femmes comme "Tiers-Etat de la subversion") créées en 1977 par Françoise Pasquier, animatrice de la librairie Parallèles et Editions Solin).

Liées aux divers gauchismes, elles abritent toutes les autres tendances, et mettent l’accent sur les sciences humaines et sociales et les "gender’s studies". Françoise Pasquier crée le CRIF en 1982 (Centre de recherche et d’information féministe). Revues : Questions Féministes, Nouvelles Questions Féministes, Histoires d’Elles, La Revue d’en-face, Sorcières, les Cahiers du Grif. Moins de moyens, une plus grande ouverture, la tradition d’un mouvement protéiforme et sans hiérarchie.

La rivalité entre ces deux maisons d’édition ne recouvre pas vraiment des divergences théoriques, plutôt des différences organisationnelles. Il s’agit surtout de courants plus ou moins mondains du tout-Paris, où tout le monde se connaît, avec lutte de pouvoirs, et contentieux interpersonnels.

Ce qui va aboutir, en octobre 1979, à une scission dans le mouvement, et devenir un casus belli : Antoinette Fouque et sa bande, s’approprient le sigle MLF en créant une association Loi 1901, nommée "Mouvement de libération des femmes – MLF" dont elles déposent les statuts. Coup de force dérisoire, mais efficace.

De nos jours, Fouque continue à soigner son image de marque, et fait carrière, bien positionnée dans Wikipédia.

En 1979, en tout cas, les autres femmes hurlent au voleur, moquent le "MLF marque déposée". Elles se regoupent autour des Éditions Tierce, et autour du Festival de films de femmes de Créteil, fondé au printemps 1979, par Jackie Buet et Elisabeth Tréhard.

http://www.filmsdefemmes.com/

Mais c’est le début du déclin.

Arrivent les années 80, avec une récupération politique et médiatique, du mouvement, parallèlement au triomphe du capitalisme financier. Un grand cynisme règne sur les questions sexuelles. C’est la dream team des traders et des top models à poil sur les murs du métro.

On peut quand même signaler deux événements :

- En 1982 : Carole Roussopoulos, Delphine Seyrig et Iona Wieder créent la fondation du Centre audiovisuel Simone de Beauvoir.

http://www.centre-simone-de-beauvoir.com/

- En 1989 : Le fonds de documentation féministe donné par Marguerite Durand à la Ville de Paris en 1931 (et logé confidentiellement à la Mairie du Ve arrondissement), devient une "Bibliothèque Marguerite Durand", bien visible, avec de nouveaux locaux, dans le 13e, en 1989.

http://www.paris.fr/portail/Culture/Portal.lut?page=equipment&template=equipment.template.popup&document_equipment_id=1756

Les années 90 correspondent à une sorte d’endormissement : "on y est arrivé, c’est irréversible", croient les femmes, surtout les jeunes femmes.

Mais du coup, quand c’est difficile, elles ne peuvent s’en prendre qu’à elles-mêmes, ce qui les fragilise.

Force est de constater, en effet, la présence de ce fameux "plafond de verre" : féminisation des postes, mais impossibilité statistique de parvenir aux sphères des décideurs.

Les déclarations ou revendications commencent souvent par "je ne suis pas ’féministe’, mais…". Le mot est tombé en désuétude.

En 1995, commence donc un long débat sur la parité.

En 2000 : une loi sur la parité est votée qui oblige les partis politiques à présenter autant de femmes que d’hommes aux élections, sous peine d’amendes financières. Ils préfèrent tous payer les amendes.

http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000005629480&dateTexte=20091009

Aujourd’hui, on est au 21e siècle.

Françoise Pasquier est morte brutalement en 2001. Après avoir fermé les Éditions Tierce en 1993, elle dirigeait une collection aux Éditions du Seuil.

Antoinette Fouque se croit toujours sémillante, mais elle vieillit (vraiment) beaucoup (elle est née en 1936).

Les féministes historiques ont désormais comme tâche majeure de transmettre leur savoir, leurs pensées, et de passer la main.

En 2003 : Création de "Ni Putes ni soumises", à la suite de la mort de Sohane, brûlée vive par un soupirant éconduit.

http://www.niputesnisoumises.com/

Il est temps de s’y remettre : actions et pensées renouvelées.

***

PERSPECTIVES

Pour finir, on peut faire quelques remarques.

- Les mouvements féministes ont toujours été conduits par des femmes appartenant aux classes dominantes urbaines (temps, fric, capital culturel, réseau).

- Ils se développent le plus souvent en liaison avec les mouvements révolutionnaires, par vagues. 1789, 1830, 1848, 1871, 1917, 1919, 1936, 1945, 1968 : en période de conflits sociaux, les femmes se radicalisent avec les hommes.

- À chaque avancée, il y a ensuite un ressac.

Pendant les guerres ou les révolutions, on a besoin des femmes. En période de reconstruction ou en période de crises, elles sont renvoyées à leurs fourneaux et à leurs berceaux.

Si ce n’est pas leurs hommes eux-mêmes, du moins quasi-automatiquement par les structures, qui sont, de fait, tenues par les hommes.

Les femmes sont alors obligées de retourner au combat contre les hommes et leurs bastions, quand ils reprennent leurs billes. Elles sont donc toujours renvoyées à un double combat : contre le patriarcat et contre le capitalisme.

- Les mouvements féministes anciens étaient systématiquement renvoyés à la différence objective des corps et à leurs destins anatomiques, et cela au nom d’idéologies et de valeurs dominantes : Dieu, la famille, la lutte des classes prioritaire. Mais surtout l’opposition nature (de droite) / culture (de gauche).

Le MLF et ses néo-féministes radicales ont permis une clarification de la problématique. Il faut rappeler que c’est dans les années 60 et 70 que les sciences humaines et sociales ont pris leur véritable essor, dans les universités, les éditions et les débats médiatiques, face aux sciences dures.

On peut rappeler quelques évidences :

- L’espèce humaine est double, elle comporte deux sexes, et donc il y a de facto une division du travail de sa reproduction.

- D’autre part les humains, mâles comme femelles, naissent inachevés, prématurés en quelque sorte, puisqu’ils sont incapables de se débrouiller seuls à la naissance. Ils doivent donc ensuite naître socialement, ce qui leur prend du temps.

Après le coup de génie de Simone de Beauvoir, reléguant l’anatomie, de nouvelles perspectives remettent le biologique à l’ordre du jour, notamment avec les progrès des neuro-sciences.

On peut aussi citer ces deux problématiques d’actualité, qui adviennent de façon synchrone et symétrique : la question des mères porteuses (forcément des femelles) et la question de la castration chimique des délinquants sexuels (forcément plutôt des mâles).

L’opposition nature et hérédité / culture et éducation a fait son temps. Elle est devenue une complémentarité, dans les sciences comme dans l’idéologie dominante.

Les femmes n’ont (plus) aucune raison de vouloir devenir des hommes. Comme les hommes, elles sont des animaux sociaux.

Par ailleurs, on peut considérer que si les révolutionnaires mâles des 19e et 20e siècles n’avaient pas dissocié la question des femmes des questions de changement de société, antiroyalistes puis anticapitalistes, on n’en serait pas (exactement) là.

On peut aussi se mettre à relire Fourier et se fabriquer de nouvelles utopies, qui seraient réalistes, elles, parce que "les temps" seraient arrivés, eux.

Le mouvement des femmes est probablement l’événement civilisationnel majeur du 20e siècle, le seul qui pourrait aboutir à la survie, et pas à la destruction du monde.

Il a peut-être tenu assez longtemps pour engendrer de nouveaux modes de pensée, de nouvelles femmes, de nouveaux hommes, de nouvelles mœurs, de nouvelles hiérarchies de valeurs.

Le camarade Lénine disait que "chaque cuisinière devait apprendre à gouverner l’État".

On ajouterait volontiers : "si elle va au gouvernement, qu’elle n’oublie pas sa cuisine".

On n’oubliera pas non plus le philosophe Henri Lefebvre, ni la vieille sentence situationniste : "ceux qui parlent de révolution sans parler de la vie quotidienne, ont, dans la bouche, un cadavre."

Anne Vignaux-Laurent

8 octobre 2009.

Voir aussi les articles féministes :

http://npaparis14.free.fr/spip.php?...


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