Né dans la rue

samedi 31 octobre 2009

NE DANS LA RUE, à la Fondation Cartier. Jusqu’au 29 novembre 2009.

C’est dans notre village, ça nous regarde.

http://fondation.cartier.com/?_lang=fr

Vous vous souvenez ?

"Ça" a commencé dans le métro new yorkais, au début des années 80. On voyait apparaître, surgies de la nuit et de l’obscurité du tunnel, au lieu du gris habituel, de somptueuses rames couvertes de couleurs et de formes inconnues. Et la sinistre journée de travail qui s’annonçait devenait lumineuse. Des gamins anonymes et encapuchonnés devenaient des gloires locales.

C’était pas tout nouveau, que les murs aient la parole, mais, là, ça durait, ça essaimait, c’était jeune, et c’était beau, souvent. Le reste du monde a suivi et les grandes villes redevenaient amicales.

Plus tard, à Paris, surpris chaque nouveau matin, on se mettait à rire, on était heureux de retrouver l’insolence, les traditions des souterrains et l’irruption des faubourgs.

C’est qu’on s’était ennuyé ferme, tout de même, depuis les Apaches du début du 20e siècle : bombardements, ruines, bidonvilles, reconstructions rapides et merdeuses, et banlieues crades. Il y avait bien eu Mai 1968, mais un mois seulement, et pas de grande diff spatiale, tous comptes faits.

Sauf les adeptes du bon ordre nickel, nous les aimions, nos très chers vandales, poétiques-politiques. On finissait par les identifier, sur les murs de nos quartiers, avec leurs styles. On était fier d’en connaître personnellement, mais on ne le disait pas à n’importe qui. On savait où les trouver et les Frigos de Paris, c’était le village voisin. Mais on les gardait clandos.

Ça n’avait pas traîné. Dès la fin des années 70, le système les traquait et les réprimait, et, exactement dans le même temps, commençait à les acheter, et à les récupérer. Le système ? Eh oui, c’est bien commode de coller sous ce même terme générique, les bourgeois bien pensants, les courtisans, les élus à clientèle, les flics, les marchands d’art, bref tous "ces messieurs-dames".

Aujourd’hui, à l’hyper chic Fondation Cartier, certains paradent, décorent officiellement le Thalys Amsterdam-Cologne et leur cotes s’envolent.

Mais vous savez quoi ?

D’autres sont toujours punis. On en connaît un, condamné pour avoir décoré un train, qui finira de payer dans trente ans (il acquitte son amende à la SNCF par prélèvements automatiques). On se souvient aussi d’un autre qui, poursuivi par les flics en haut d’un toit, a préféré mourir plutôt que de se rendre.

On analyse ça comment ?

Cette jungle schizophrénique, ces cohabitations ni pacifiques ni conflictuelles d’intérêts hétéroclites, ces écosystèmes illogiques ni naturels ni culturels ? Par la division du travail et la valeur d’échange ?

Et ces individus chanceux ou malchanceux ? Par leur place dans une classe sociale et dans les rapports de production ?

La justice, la plus belle production du genre humain, on la joue comment ?

Anne Vignaux-Laurent

http://www.liberation.fr/culture/0101592261-gloire-et-grief-du-graffiti http://fr.wikipedia.org/wiki/Théorie_de_la_justice


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